Critiques de la presse / des professionnels
Milos Forman : "Buñuel plus Disney égal Svankmajer."
Catherine Gheselle : "Svankmajer utilise des personnages de chair et d'os qu'il mixe à de la pâte modeler pour nous donner l'illusion de déformations corporelles, dénonçant ainsi les pressions que subit l'être humain. Il s'agit souvent d'enfermement, de morcellement du corps. À l'inverse, ses personnages de pâte à modeler sont couplés à de réelles cervelles de boucherie, à des yeux de verre, à des langues de bœuf rendant compte ainsi de leur animalité. Comme chez Renoir, l'être n'est ni bon ni méchant, plutôt mi-ange mi-démon. Les objets prennent vie et soulignent l'absurdité de notre monde. Ainsi cette cuiller percée qui ne permet pas à la bouche de se rassasier de la soupe et de ces deux steaks, qui entament une parade amoureuse avant de finir dans la poêle à frire. Les fonctions des objets usuels sont détournée illustrant un surréalisme cher aux pays slaves et qui malheureusement, fait de plus en plus défaut dans nos sociétés capitalistes.
Le fantastique est forcément un de ses domaines de prédilections, flirtant parfois avec le gore dans l'utilisation d'un montage coup de poing qui agresse la sensiblerie du spectateur. Les tensions sont à leurs combles car il se joue de nos propres frayeurs comme dans « Down to the cellar » où une petite fille descend à la cave pour y chercher des pommes de terre. Un monde surnaturel se met en place devant ses yeux, fruit de l'imagination enfantine. Nourri par les contes, et tout comme le conte, le cinéma de Jan Svankmajer met l'être humain en présence des difficultés fondamentales de l'existence, comme le vieillissement, la mort ou l'enfermement, sous une forme symbolique qui les rend supportables. "
Iris Niesdy :
"Cette adaptation du chef-d'oeuvre de Carrol par Jan Svankmajer est un idéal complet qui fait oublier tant de mauvaises adaptations américaines conçues pour tous ces parents fatigués arpentant désespérément les grands magasins, plutôt que pour les tous petits encore ouverts à tout. Présenter ce film à un enfant en bas âge et il risque fort de développer un talent artistique phénoménal plus tard, au risque d'être rongé par une insomnie due à des souvenirs vagues de cauchemars trop violents, l'ayant rendu trop timide, durant toute sa vie.
Oui, ce film, largement fabriqué à partir d'animations laborieusement manuelles, devenues maintenant impensables à l'ère informatique où tout y est si artificiel, n'est peut-être pas aussi réconfortant que le produit commercial des américains, mais il respecte de A à Z l'intention originale de Carrol, déformée sans arrêt par la superficialité du merveilleux monde du marketing. L'idée originale de Carrol était bien d'explorer le côté original de l'imagination enfantine, celle aucunement affectée par l'aspect dérivatif des jouets stéréotypés qu'on lui présente constamment.
Tel que présenté par Svankmajer avec Kristina Kohoutova dans le rôle de la petite Alice, le rêve de Alice apparaît plutôt troublant, monstrueux de cruauté même, illustrant bien l'énorme égoïsme des êtres humains. Encore plus imaginatif que Carrol dans son roman, Svankmajer crée comme s'il extirpait du cerveau de l'écrivain du 19ième siècle des éclairs de génie non-exprimés en mots! Ainsi, la méthode minutieuse de Carrol, se cachant derrière une histoire sans fondements évidents, revient à la surface. Bien entendu, aucun passage n'apparaît inutilement exploité à des fins douteuses. Grâce à « Alice », il est encore moins possible qu'avant de renier l'avant-gardisme inestimable de Carrol. Pour sa part, Svankmajer est devenu une légende grâce à sa méthode à lui, des objets animés, image par image, intensément perfectionnée par des collaborateurs comme l'animateur Bedrich Glaser et le sonoriste Ivo Spalj. Fantasmagorique!!! "
Max Tessier : "On savait que l'animation tchèque était une des premières du monde, avec des noms prestigieux comme Trnka, Pojar ou Zeman. Mais connaissait-on vraiment Jan Svankmajer, l'inclassable ? A 55 ans, on va le découvrir alors qu'il a déjà créé une oeuvre littéralement «incontournable» en une vingtaine de courts métrages géniaux, dont le fameux Les possibilités du dialogue (Grand Prix d'Annecy 1983), et le dernier, Le jeu viril , une satire violente des fans de football, présenté à Cannes cette année. Alice , sa première expérience dans le long métrage, mi-fiction, mi-animation (avec un net avantage pour cette dernière !) est un véritable retour aux sources— comme l'indique le premier plan de la rivière !—de Lewis Carroll, celui d'«" Alice au pays des merveilles ". Alors que les autres versions n'étaient que des illustrations (y compris celle de Disney, le dessin animé qui fit si peur aux enfants à l'époque qu'on le retira de la circulation) plus ou moins réussies, Svankmajer, adepte du surréalisme pur et dur et du rêve éveillé, a réalisé un «film à tiroirs», aux sens propre et figuré: après sa rencontre avec le Lapin Blanc (plein de son et de sons), Alice est littéralement happée par un tiroir à clefs multiples, et glisse progressivement dans le monde incongru cher à Svankmajer. Elle, dont les lèvres en gros plan scandent les phrases du récit (“ Said the White Rabbit”, ” Demanded the White Rabbit”, etc) se trouve en butte à un univers d'objets tactiles et hostiles dont l'auteur a véritablement le secret : meubles à tiroirs, clefs, feuilles mortes, ciseaux multiples, vieille quincaillerie, viande animée, squelettes d'animaux divers, objets hétéroclites qui se télescopent dans un univers baignant dans le morbide dérisoire... Alice elle-même, au gré de ces objets et de leurs violents et secs affrontements (qui rappellent entre autres ceux des Possibilités du dialogue ), se trouve transformée en poupée dans une pièce trop grande, ou, revenue à la taille humaine, se heurte aux parois d'une chambre trop petite. Et, par la porte miniature taillée dans la porte «grandeur nature», elle observe les personnages de son rêve éveillé, du Lièvre de Mars à la Reine de Coeur, impuissante à retrouver sa véritable personnalité. Mais on n'en finirait pas de tenter de décrire un film proprement indescriptible, où la violence du montage (de Marie Zemanova) fait corps avec celle des objets déchaînés : un travail herculéen ! Peut-être, à la fin de ce rêve brutal, et certes pas «beau», se rendra-t-on enfin compte du génie unique de Jan Svankmajer, poète surréaliste en butte aux autorités de son pays, qui voient d'un mauvais oeil le regard malin et inhumain de quelqu'un qui déclare : «A moins que nous ne rapprenions à raconter des contes et des histoires de revenants le soir avant de nous endormir et à parler de nos rêves au réveil, nous ne pouvons plus rien espérer de notre civilisation occidentale...” Jan Svankmajer, ou le génie gênant de Prague (et de Barrandow) : à découvrir de toute urgence !"
Critiques du public
"Cela fait déjà plusieurs années que j'ai vu ce film. Pourtant, impossible de l'oublier. J'étais tellement resté surpris.
À mon avis, cette version est davantage près du conte de Lewis Carroll que celle de Walt Disney à laquelle nous nous sommes maintenant accoutumés. Pas que l'histoire et ses faits soient si différents, mais plutôt que l'univers de Svankmajer est beaucoup plus onirique et symbolique.
Et à ceux qui diront que Alice n'est pas un film pour les enfants, je leur répondrai que les enfants sont beaucoup plus ouverts d'esprit que nous pouvons l'imaginer. Ce sont souvent les adultes qui suggèrent ce qui est apeurant ou non. À mon avis, un clown ou un Père Noël est bien plus effrayant qu'un crâne lugubre."
Jean Picard
"Je croyais depuis longtemps disparus les cinéastes capables de nous raconter une histoire de 1h30 sans parole comme Chaplin savait si bien le faire. He bien je me trompais ! Svankmajer réussit à merveille ! Laissez vos appréhensions de côté et lancez vous tête première dans une aventure imaginaire intelligente et de haut calibre ! Le mélange d'animation et des êtres réels fait plus vrai pour un conte qui se situe dans un pays imaginaire que n'importe quelle adaptation en simples dessins. Merveilleusement débridé et inventif ! Étrange version d'Alice que ce film, mais quelle belle découverte. Nous nous sentons aussi perdus qu'Alice elle-même. Comprendre ce film relève de l'impossible. Imaginer un peu David Lynch adaptant un conte avec en prime des marionnettes et de l'animation.... A vous de découvrir sans drogue sinon... "
Sébastien Cholette
"Cette version délirante d'Alice au Pays des Merveilles est absolument exceptionnelle. Il y a un certain temps que je l'ai vue à Télé-Québec, et il m'en est resté des images indélébiles. La souris qui plante son feu de camp sur la tête d'Alice et s'apprête à y faire cuire son repas, le lapin blanc en train de manger les brins de scie de son propre rembourrage, et les chaussettes-chenilles avec des dentiers qui percent des trous dans un plancher de bois franc... Inoubliable. J'ai découvert un cinéaste grâce à ce film. J'admire beaucoup Jan Svankmajer depuis. Alice m'a incitée à apprendre plus sur lui, et j'ai par la suite eu la chance de voir une de ses oeuvres au grand écran (Otesánek), qui m'a beaucoup plu aussi. Disney n'est pas de taille face à Svankmajer, qui restitue le délire de Lewis Carroll moins fidèlement, peut-être, pour ce qui est du mot-à-mot, mais dans un esprit beaucoup plus proche de celui du livre. Par contre, les références freudienne, telles que dans la critique de Voir, ne sont pas nécessaires à l'appréciation de cette oeuvre. Elles sont bien trop réductrices pour l'imaginaire débridé de ce réalisateur."
Mariane Desautels
"Je trouve intéressant de découvrir une nouvelle vision de ce film après avoir lu l'article de Juliette Ruer. J'ai vu ce film il y a trois ans et je trouvais dommage que personne ne connaisse l'existence de ce film complètement magique et inquiétant. Je n'avais jamais porté attention au côté plus sexuel du récit. Je m'étais transformée en petite fille, cachée sous ma couverture, les yeux grands ouverts, attentive à tous ces personnages étranges et macabres. Je vais retourner le voir en tant qu'adulte et redécouvrir à nouveau ce merveilleux film qu'est Alice."
Justine Brichart
"
Ma découverte d'Alice remonte à il y a quelques années quand je me suis procuré l'édition vidéo de ce film de Svankmajer, mise en vente par la Boîte Noire. J'en suis, bien entendu, tombé en bas de ma chaise. Ces personnages en décomposition, cette narration qui étrangement provoquait un malaise, cet univers surréaliste... Le grand Milos Forman a dit de ce film qu'il était une combinaison des univers de Disney et de Bunuel. Il avait entièrement raison. Un film à découvrir absolument."
Yanick Blain